Quelles que soient les situations évoquées dans ce recueil de cinq nouvelles, les légendes d’un album de photos, un clochard qui écrit des poèmes à la craie sur les trottoirs, un enterrement de vie de garçon, une répétition théâtrale, la lutte d’un artiste contre le temps, tous les personnages traversent des épreuves à des degrés divers qui transforment leur vie ou celle des autres. Le titre évoque encore les épreuves d'artiste, les épreuves photographiques (celles d'un album justement), les jeux d'épreuves d'un livre, c'est-à-dire le chantier de l'écriture. S'y trouve aussi, bien sûr, le geste de mettre le genre de la nouvelle à l'épreuve, et sans doute les lecteurs par voie de conséquence, qui peuvent être déroutés par de telles expériences narratives peu orthodoxes. Mais le rôle d'un écrivain, comme celui d'un artiste, n'est-il pas de bousculer l'horizon d'attente du public en prenant des risques ? N'est-ce pas là la condition fondamentale qui préside à l'évolution de la littérature ? Tout en proposant de nouvelles formes l’auteur fait le pari de rester accessible.
"Mettre le genre à l'épreuve. C'est bien l'entreprise de Gaëtan Brulotte qui s'adonne au métissage des genres dans son petit livre intitulé Epreuves. (…) Le fait de mélanger les formes narratives dans l'écriture nouvellière (…) confère au genre une dimension élargie, sémantiquement et formellement riche de possibilités, ce qui permet à l'écrivain de sortir du cadre plus limité de la nouvelle" Claudine Potvin, Lettres québécoises 97 (Printemps 2000) : 38-39.
"Aucune nouvelle n'a une forme conventionnelle, chaque texte explorant les possibilités du métissage des discours et des genres, ainsi que de la disposition textuelle. Ainsi, le texte de tête, "Légendes d'un album de photos", offre 32 commentaires de photos par "l'écrivain Serge Gravier", de l'âge de huit mois à la cinquantaine, époque où selon son biographe, il disparaît mystérieusement. Ce remarquable récit fragmenté donne tout de même l'illusion "romanesque" de la vie dans son mouvement et ses ruptures mêmes, et aussi une idée du "sentiment de dépossession et d'impuissance" de cet homme qui se voit changer de visage, de forme et éprouve une angoisse et une insatisfaction qui traverse toute sa vie. "L'audition", la nouvelle la plus longue (35 pages) de ce petit recueil, a aussi la forme la plus baroque de toutes les nouvelles de Brulotte. (…) Le sujet est aussi complexe que sa forme (…) la chute est étonnante de théâtralité. Dans "Le camion à ridelles", la forme paraît quant à elle de prime abord conventionnelle. En premier lieu, le texte offre une description-narration d'un enterrement de vie de garçon: englué dans la mélasse et enrobé de plumes et de farine, puis saoulé, un jeune homme est amené devant la maison de sa fiancée, horrifiée par le spectacle dégradant qu'on lui offre. Puis en deuxième partie, la narration effectue un retour aux jeux formels avec des fragments de discours de pensée de la fiancée et d'autres de narration de l'action, qui sont placés comme des cubes textuels qui s'enchaînent autant qu'ils se déboîtent. Ils reflètent le désordre carnavalesque de la scène grotesque. Puis coup de théâtre comme Brulotte en a l'art: un grand malheur survient qui rend la vie cruelle et absurde. "Le sculpteur du temps", s'il épouse les contours d'une narration apparemment traditionnelle, demeure un texte narrato-philosophico-esthétique qui expose les idées bizarres d'un artiste qui cherche à maîtriser l'art du "Non-Acte". Cette nouvelle baroque résume de manière saisissante la vie de cet homme qui finit par travailler à la construction d'une sculpture incroyable et monumentale, un banian métallique, dans laquelle on l'enterre. Loin de tous les procédés (ou jouant allégrement avec ceux-là), Brulotte me semble marquer une étape dans la conception et l'évolution de la nouvelle et du recueil avec Épreuves." Michel Lord, UTQ University of Toronto Quarterly - Volume 70 Number 1, Winter 2000/01- Letters in Canada.
"En tout, cinq façons de voir le travail créateur qui est à l'image du banian "cet arbre qui [est] une forêt à lui seul." Pierre Karch, LittéRéalité [Toronto] XI.2, Automne-Hiver 1999, p. 113.
« L’œuvre de Gaëtan Brulotte se caractérise quant à elle par une propension à l’autotélisme déguisé, à l’autobiographie et à la parodie du monde et des genres, entre autres choses, par le métissage littéraire : nouvelles mariant fortement le descriptif exubérant du portrait, la poésie, la théâtralité, le discours philosophique, etc. Thématiquement, la folie et la révolte contre le réel configurent son imaginaire, dont les formes se veulent avant tout expérimentales, Brulotte cherchant de nouvelles voies pour traduire ce monde absurde et indicible. » Lord, Michel. "Gaëtan Brulotte. L'écriture de la folie et de la transgression des genres." in Brèves implosions narratives. La Nouvelle québécoise 1940-2000. Québec, Editions Nota Bene, 2008: 300.
"Tient de la prouesse" (...) "comment traverser ces épreuves ?" Réginald Martel, Montréal, La Presse, 23 mai 1999, p. B-4
"(…) le résultat est unique dans les annales littéraires québécoises. (…) Le métissage, le phagocytage, le carnavalesque et la parodie de genres et d'esthétiques multiples (le portrait, les descriptif, le poétique, le dramatique, le philosophique…) montrent à l'envi que Brulotte illustre dans ce recueil la richesse d'une pratique nouvellistique qui s'alimente à toutes les sources pour renouveler le genre narratif bref et le conduire à des limites insoupçonnées. "Michel Lord, "Epreuves de Gaëtan brulotte: la nouvelle comme genre phagocytaire", Littératures "La Nouvelle québécoise contemporaine", 52 (2005) (Presses Universitaires du Mirail, Fr.) : 139.