Extrait de La Chambre des Lucidités

essai

Pourquoi la littérature ? A quoi bon ? Quelle en est la raison d'être aujourd'hui ? Qu'est-ce qui justifie qu'un auteur passe encore l'essentiel de sa vie à écrire des livres ?

Je crois que la littérature, avec les arts, reste le plus haut instrument de civilisation que nous ayons. La laisser s'éteindre, ce serait risquer le retour à la barbarie. La littérature permet de créer des ponts durables entre les êtres et entre les cultures. Par le livre, des individus d'horizons différents peuvent s'intéresser plus profondément les uns aux autres plutôt que de se méconnaître, de se mépriser ou de s'entretuer. Elle nous permet de mieux nous comprendre mutuellement et de mieux saisir la condition humaine dans sa réalité actuelle. Elle nous donne des moyens de nous réconcilier et d'unir nos forces pour appréhender l'univers et conférer du sens à ce qui n'en a pas. Elle manifeste la diversité culturelle et spirituelle de l'humanité tout en étant le ciment de cette diversité, puisqu'elle décloisonne les barrières. La littérature rassemble parce qu'elle pourvoit de la compassion, et elle rend plus intelligent dans le rapport au monde parce qu'elle éduque l'émotion.

La littérature a une profonde vocation métaphorique, c'est-à-dire qu'elle effectue sans cesse des relations. Sa force est d'être relationniste en permanence. Grâce à elle, l'autre et moi, nous découvrons nos affinités et jaugeons nos différences. Par-delà les écarts de culture, d'éducation, de sensibilité, de vues politiques, de sexe, voire de sexualité, nous sommes comparables sur l'essentiel, c'est-à-dire dans ce qui nous préoccupe tous en tant qu'êtres humains: l'aliénation, la perte, l'ennui, l'incertitude, la limite, la finitude. La littérature est une des meilleures façons de montrer cette mesure générale. C'est une poignée de mains au-dessus du néant, une lumière, si fragile qu'elle soit, qui palpite sur la fosse commune de l'Histoire.